L'ABBÉ LEMIRE

	Quand la soutane de l'abbé Lemire paraît dans les couloirs du Palais-Bourbon, toutes les
mains se tendent vers celui qui la porte.
	Radicaux ou socialistes, voire même communistes, saluent avec une déférence sympathique
celui qui défend si allègrement depuis vingt ans à la Chambre son Dieu et son Pays.
	M. Lemire n'est pas seulement sympathique à la Chambre, il jouit dans son pays d'une
affection et d'une confiance illimitée.
	En voici un trait qu'il nous conta lui-même.
	C'était aux tristes jours de l'invasion.
	Les Allemands se ruaient sur nous. Hazebrouck allait subir l'ignominie de l'occupation
étrangère.
	Vite, M. le Maire-Abbé expédia le sous-préfet et annonça qu'il répondait de tout.
	Le capitaine des pompiers n'était pas rassuré, la population encore moins.
	M. lemire eut un trait de génie. Il rassembla ses ouailles à la mairie et leur dit:
"Mes entants, faites comme moi, entourer tous votre bras d'un brassard, et les Allemands ne vous
toucheront pas."
	M. Lemire vit encore de ce décret d'inviolabilité qu'il inventa pour rassurer ses
concitoyens. Les Allemands d'ailleurs se détournèren d'Hazebrouck, mais l'abbé Lemire avait sauvé
une population affolée.
	M. Lemire concilie les sentiments les plus catholiques avec une foi républicaine qu'il ne
craint pas de manifester à la tribune.
	Combien de fois sur les travées républicaines, M. Lemire a-t-il obtenu de gros succès
pendant qu'à droite on le boudait un peu!
	Fort de sa conscience, le député d'Hazebrouck ne transige pas. Il défend la thèse qu'il
croit bonne avec chaleur, éloquence et simplicité, une simplicité évangélique, agrémentée de
commentaires spirituels qui conquièrent une assemblée.
	En général toutes les interventions parlementaires de M. l'abbé Lemire ont été marquées
par des succès et il faut entendre avec quel coeur il défend les habitations à bon marché dont
il a doté la classe ouvrière.
	Son indépendance lui a attiré quelquefois les froideurs de Rome, mais finalement Rome
elle-même a dû reconnaître que le catholicisme de son disciple parait s'allier au régime
républicain.
	M. l'abbé Lemire a toujours défendu la cause catholique avec mesure, avec tact et
beaucoup d'esprits bien pensants estiment que si ces qualités s'étaient retrouvées chez tous
les défenseurs attitrés du trône et de l'autel, il y aurait eu moins d'à-coups entre la France
et le Vatican.
	On sait que M. Lemire fut une des victimes de la fameuse bombe que l'anarchiste Vaillant
jeta dans la salle des séances du Palais-Bourbon. Cet accident n'a pas atténué la bonté et le
charme de son sourire. Si tous les prêtres étaient comme l'abbé Lemire, les catholiques
seraient certainement plus nombreux.